Rhône kayak 2013

Démarré par Rikou, 14 Juin 2013, 10:06:24

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ours

Rikou, te serait-il possible de faire une carte de cette entrée dans Lyon par le Rhône, entre le barrage de Jons et le seuil de la Feyssine ?
Peux -tu situer tes portages? Quel est le meilleur parcours dans cette zone assez compliquée il me semble? Merci!  :coucou:
Site artistique personnel https://jeanyvesamir.fr/

Rikou

 :D  Salut à tous
Citation de: Kerrigan le 07 Mars  2014, 09:13:33
et comment s'est passé le voyage de Lyon à la mer  :ange:  ?

Le récit de cette partie de mon périple est en cours de rédaction. Sois patient jeune scarabée. :ph34r:

Citation de: ours le 07 Mars  2014, 10:44:28
Rikou, te serait-il possible de faire une carte de cette entrée dans Lyon par le Rhône, entre le barrage de Jons et le seuil de la Feyssine ?
Peux -tu situer tes portages? Quel est le meilleur parcours dans cette zone assez compliquée il me semble? Merci!  :coucou:


je prépare cela dès que possible  ;)

Ce week-end, ouverture de la pêche à la truite.  :bravo: Une semaine de congés posée pour l'occasion  :lol:

A+ les amis  :good:
Il ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait...

hittite

Salut Rikou - le guide du Rhône est un peu en stand by...
Peut on utiliser tes photos et plans pour le compléter ? Si Ours veut y remettre sa patte surtout pour la partie avant Lyon !

@+marc

Klepper Aerius 2 Expedition - Solar 405 - Yakkair One - Skerry (Canot voile aviron)

Kerrigan

@Hittite, ton site que je découvre est fantastique, j'espère qu'il sera enrichi par le passionnant récite de Rikou.


En rêvassant sur ton site, cela m'a donnée l'idée et l'envie pour mes prochaines vacances dans le sud (mi-avril) de partir de Arles et d'y revenir en faisant le "triangle", ie partir par le petit Rhône, un petit bout de Méd., puis revenir par le bras principal (ou l'inverse).


Qu'en pense les experts du coin? Apparemment pas de portages nécéssaires? Si débit raisonnable, la remontée est-elle faisable et vaut -il mieux remonter le petit Rhône ou le bras principal?

xael

Passant souvent par là, voici quelques plans utiles de la zone nord de Lyon (entre Miribel et le nord de Lyon) :

Plan de situation global :




En cyan, la zone qui est interdite à la navigation.
En rouge les mises à l'eau utiles.


Mise à l'eau au niveau de la gare de Miribel :



Seuil de Neyron :


En rouge la mise à l'eau la plus proche (attention, il n'y en a pas en aval)
En jaune, le seuil. Il y a une passe à canoës sur la gauche.


Seuil de la Feyssine AKA Hawaï sur Rhône :




Les ronds rouges : mise à l'eau utilisables

La croix rouge : si vous êtes joueurs, ne pas passer par ce bras, le seuil est plus abrut, il y a parfois du rappel selon le débit.
le bras de droite peut-être passé sans trop de surprises selon le débit, plutôt tout à droite (aller voir avant !)

La flèche jaune, fort contre-courant à la mise à l'eau... attention, il ramène direct dans les remous. Rien de dangereux cependant.

Rikou

 :D Salut

Bon. Quand c'est bien dit, il n'y a plus rien à ajouter.  :good: 

Je vais juste préciser, qu'à la reflexion, chacune des deux options, canal de Miribel ou canal de Jonage, se valent. Pour le premier, on fait trois portages (barrage de Jons, Seuil de Neyron, Seuil de la Feyssine) voire 1 portage si les conditions le permettent (barrage de Jons)

Pour le deuxième, on fait trois portages (Barrage hydroélectrique de Jonage avant le Grand Large, Barrage electrique de Cusset après le GL, et le seuil de la Feyssine, rive gauche)

Se référer aux indications de Xael pour repérer les rampes et emplacements des seuils  :good:

Pour les photos, aucun problème ... :D
Il ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait...

Rikou

Citation de: Kerrigan le 07 Mars  2014, 09:13:33
et comment s'est passé le voyage de Lyon à la mer  :ange:  ?

  :D Voici une partie de la réponse  :good:

--o0o--

    Naviguer le long des pentes du quartier historique de la Croix-Rousse, à l'entrée de Lyon, fut comme évoluer dans un paysage d'automne. Les façades des vieux immeubles étaient parées d'ocre, de beige, de roux qui font le bonheur des aquarellistes. Mais soudain, l'oppressante urbanité se fit ressentir. Les palettes colorées laissèrent place à la grisaille des immeubles. Le soleil tapant dans les innombrables baies vitrées des immeubles d'affaires, apporta une touche scintillante paradoxale et donna au fleuve une couleur plus lumineuse, presque phosphorescente. Je traversai la cité avec assurance cependant. Concentré sur ma trajectoire, je me plaçai au beau milieu du Rhône et je ressentis comme un sentiment de grandeur, de puissance même. Je connaissais les lieux et leurs dangers. Je franchis les ponts successifs en Maître absolu. J'étais le Roi du Fleuve acclamé par mes nombreux et fidèles sujets agglutinés le long des berges pour contempler leur souverain triomphant, naviguant sur son vaisseau majestueux, à destination des contrées barbares du sud, d'où il allait revenir en vainqueur incontesté... Bien entendu... L'euphorie passée, je repris rapidement pied dans la réalité pour m'approcher tranquillement de cette rampe en rive gauche, près du bateau des pompiers, où je retrouvai avec plaisir mon pote Dudu, pour une séance « shooting ».

    « Oh Rikou !» héla-t-il en me voyant et sans perdre un instant, il entra tout de suite dans le vif d'un sujet qu'il maîtrisait parfaitement, un énorme appareil photo à la main « Attends, attends, t'es descendu trop vite. Tu peux remonter j'ai repéré de supers plans avec Fourvière en fond... » Le ton employé ne laissa place à aucune hésitation ni contestation de ma part et je passai de Souverain tout puissant à troufion de base obéissant, exécutant les ordres d'un chef exigeant.

    Me voilà remontant le fleuve, sous les consignes d'un excité, les cheveux hirsutes, courant le long de la berge, avec un sac à dos disproportionné ballottant de gauche à droite, qui disparaissait et réapparaissait comme par enchantement, derrière un bosquet, devant un groupe de touristes, au-dessus d'une passerelle, et qui ponctuait chacune de ses apparitions par des : « Ouais... Attends là, j'arrive... Bouge plus... Vas-y tourne...  Allez remonte encore un  peu... Voila... Descends maintenant... Pas trop vite... Vas-y remonte, t'occupe pas de moi... Oh Oh Rikou ... Chui là !» Bref un véritable feu-follet, tournoyant, gesticulant, sautillant, complètement indifférent aux badauds qui assistaient à cet étrange ballet. La séance se termina comme elle commença, c'est-à-dire sur ordre. Nous nous retrouvâmes enfin à la rampe des pompiers où nous prirent le temps d'admirer l'œuvre du Maître. Le résultat fut à la hauteur des efforts accomplis.

    Nous fîmes une longue pause, sur de hautes marches bétonnées, abrités du soleil de plus en plus véhément. Nous en profitâmes pour prendre le temps de faire une collation partageant ce que chacun avait dans son sac. Moments furtifs de fraternité, volés au temps, gravés à jamais dans les méandres de ma mémoire. Nous nous quittâmes aussi simplement que nous nous étions revus. Sans démonstration, sans complication, certains l'un et l'autre, que nous partagerions d'autres moments identiques. Juste avant de partir et de mettre l'Isak à l'eau, je conversai amicalement avec Dédé, un membre du club de kayak de Lyon que je venais de rencontrer et qui redescendait le fleuve en maniant avec brio, la pagaie groenlandaise. Les cheveux grisonnants, le regard vif et sincère, la parole sûre, cet homme échangea simplement avec moi. Une franche et honnête poignée de main conclut notre conversation. Il m'invita à passer au club lorsque la saison aura repris. J'acquiesçai malgré mon caractère solitaire de vieil ours mal léché, doublé d'une timidité invisible mais néanmoins bien réelle dont on a du mal à me croire atteint. J'essaierai de passer outre et d'honorer cette invitation.

     Je repris le fil de l'eau en cette fin d'après-midi, bercé par des flots cléments, réchauffé par un soleil radieux. Je passai tranquillement la confluence avec la Saône en rive droite et admirai le chantier énorme qui s'y déroulait. Le musée des confluences prenait petit à petit ses formes définitives. Il jaillissait de terre telle un Nautilus des temps modernes émergeant avec fracas de l'océan. Cette image romanesque contrasta avec le pragmatisme humain que je retrouvai en approchant du barrage de Pierre-Bénite et sa signalisation nette et sans équivoque : CANOE TRAVERSEZ, RAMPE A 50 M. Le portage de quelques centaines de mètres me conduisit de l'autre côté du barrage, dans cette lône sauvage et boisée, entre Irigny et Grigny. Je me rendis compte du niveau élevé du fleuve après le barrage. En effet je franchis le seuil juste en dessous avec beaucoup de facilité, les enrochements n'étaient plus visibles, et l'eau coulait sans entrave. L'année dernière j'avais fait un bref portage à cause des rochers qui barraient le passage. Je continuai donc tranquillement sur un rythme nonchalant, longeant l'île de la Chèvre, puis l'île de la Table Ronde, jusqu'à passer enfin le pont de Vernaison. La fin du voyage était proche. Famille et amis m'attendaient, et je me délectai déjà en les  imaginant installer tartes, quiches, saucissons, pissaladières, vin rouge, fromages, pour un dîner tout en démesure. Il me resta quelques centaines de mètres à parcourir et j'étais rive droite. Le courant se manifesta et je dus redoubler d'efforts pour passer de l'autre côté. Je contemplai les rives garnies de galets qui s'approchaient et alors que je repérai un coin pour accoster, j'aperçus deux têtes blondes, qui bondissaient au milieu de la ripisylve. Je reconnus les deux plus grands de mes garçons. J'échouai l'Isak sur un magnifique promontoire d'herbe verte, immergée certainement depuis peu, devant mes admirateurs conquis. Je profitai doucement de cet instant, répondant aux questions qui fusaient de la bouche des garçons, curieux de savoir ce que leur « aventurier » de père avait vécu, tout en enlevant ma panoplie du kayakiste. Je me préparai à retrouver la chaleur des miens. Je mis le kayak à l'abri et c'est rejoints de leur mère et de leur petit frère, que nous nous dirigeâmes tous les cinq vers le reste de la troupe. Je fus accueilli tel un héros. J'étais le Roi du Fleuve. Le festin pouvait commencer.

--o0o--
Il ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait...

ours

Mais!?

Mais on a à peine passé Lyon, là! Et la suite jusqu'à la Mediterranée? :eek:

Vas-y boulègue! :D
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Rikou

#68
Oh Collègue ...  :D Ton impatience me flatte ...

     " Ayant fait durer le plaisir la veille au soir, heureux d'être parmi les miens qui m'avaient rejoint, j'éprouvai quelques difficultés à me lever ce matin là et ce n'est qu'un peu après 08h00 que je donnai les premiers coups de pagaie de la journée. Les rayons du soleil commençaient déjà à poindre, plein sud, comme pour m'ouvrir la voie, m'indiquant le direction à suivre. Ça tombait bien, c'est par là que j'allais. Contemplant les rives boisées qui défilaient sous me yeux, entrecoupées de digues enrochées, je réalisai que cela faisait une semaine que j'étais parti depuis la plage du camping « Rive Bleue » au  Bouveret. Une semaine qui passa très rapidement. Trop peut-être, mais qui me permit d'évoluer et d'admirer les paysages aussi variés et riches que peuvent être les rives du Rhône. Ainsi, pour l'instant le bilan était positif.

     La navigation jusqu'au barrage de Vaugris après Vienne fut là-encore, très agréable, bien que le ciel se couvrit d'un voile gris qu'un vent mutin faisait vaciller par moment. C'est une section très verte parsemée de magnifiques coins pour les randonneurs de toutes disciplines et pour les pêcheurs. Brochets, sandres, perches, silures se disputent les meilleurs places et succombent parfois aux leurres bien travaillés des pêcheurs avertis. Malgré la sérénité ambiante qui règne à la surface du fleuve, je conseille de faire preuve de vigilance du pont de l'autoroute à Givors, à la confluence avec le Garon jusqu'aux piles de la passerelle de Chasse-sur-Rhône, où  les courants peuvent y être très forts. Surtout lors du passage d'une péniche, par exemple, remontant le fleuve pour décharger sa garnison à Pierre-Bénite.

     Après ce passage, si le vent de s'emmêle pas trop, c'est un fleuve tranquille qui se laisse faire jusqu'à l'approche de Vienne où les berges se transforment peu à peu en digues bétonnées et quais chargés, où les architectes rivalisèrent d'ingénuosité pour mêler vieilles pierres et urbanisme moderne. C'est une magnifique cité cependant, qui rivalisa dans les temps anciens avec la puissante Lugdunum. Je la traversai sans vagues intempestives, et sans vent, contrairement à l'année dernière où je dus batailler contre vents, sans marée, pour avancer. Laissant dans mon sillage ce riche passé antique, je filai au barrage de Vaugris, que je franchis aussi sans difficulté, même si la rampe de remise à l'eau après le barrage fut particulièrement longue et pentue.

     Je poursuivis mon itinéraire au milieu d'un trafic fluvial modeste. Et ce ne fut pas pour me déplaire. Ce qui me déplus, ce fut la rampe de sortie du barrage de Saint-Pierre-de-Boeuf littéralement squattée par des pêcheurs sans scrupule, flanqués façon larves dans leur espèce de lit de camp, surveillant d'un œil mis clos, leur batterie de cannes, imposante mais silencieuse, installée sur toute la longueur de la rampe. Un premier passage ne les émut point le moins du monde et j'eus même l'impression qu'au deuxième, celui qui semblait le moins éveillé des deux, car ils étaient deux, sombra définitivement dans un sommeil profond. Je sortis tant bien que mal mon kayak de l'eau, m'agrippant à quelques touffes de joncs fuyantes, bataillant contre des roseaux saillants, qui disparurent écrasés sous la mortelle pression de la carène de l'Ysak. Une fois sur le sentier qui bordait la rive, le dit kayak fut transporté par votre serviteur qui le hala jusqu'à la rampe prochaine.

     En ce samedi de juin, la base nautique de St-Pierre-de-Boeuf était animée de centaines de jeunes bipèdes, et de moins jeunes, affublés de drôles extensions pour un non initié, batifolant dans les eaux agitées d'une rivière artificielle en plein rendement, gesticulant, manœuvrant, se démenant dans ses rouleaux tumultueux. D'autres énergumènes, certainement plus malins, voire plus sages, étaient tranquillement installés à la terrasse du snack, sirotant une bière bien méritée ou quelques « demi », qui n'ont de « demi » que le nom, puisque nous supposons qu'il s'agit de demi-litres, soit 500 millilitres, or les contenants sus-nommés ne contiennent au pire 25 centilitres, au mieux que 33 centilitres de ce breuvage riche en céréales qui a certainement le mérite d'alimenter l'enthousiasme général. Et malgré le temps qui se dégradait, je sentis toutes l'effervescence alentour, provoquée par la liesse des kayakistes en folie.

     Je traversai le site la tête baissée, comme un humble pénitent, faisant mine de ne m'intéresser qu'au sol terreux que je foulais des pieds, ou à ces quelques graviers qui n'avaient pas leur place ici et que j'écartai du sentier. J'atteignis la rampe sous le barrage et après avoir préparer le kayak, je jetai un bref et dernier coup d'œil vers cette cohue aquatique haute en couleur. Un furtif soupir de lassitude s'échappa de ma gorge, alors que je reprenais le cours de ma solitude. Mais après quelques brasses sur le fleuve, porté par ses eaux grisonnantes, reflets du ciel qui se dégradait, je retrouvai la tranquillité de la réserve naturelle de l'île de la Platière. Puis se profilant à l'horizon, le pont entre Serrières et Sablons annonça la fin de mon parcours. J'avais décidé d'installer mon bivouac, après le barrage de régulation de Sablons, un peu plus en aval, dans ce bosquet d'arbres que j'avais préalablement repéré sur Google Earth et Geoportail et qui s'avérèrent (h)être des Robiniers faux acacia. C'est lorsque j'accostai en rive gauche, juste après le pont, pour me ravitailler du côté de la Drôme à Sablons, que la pluie choisit son moment pour faire son apparition. Faut dire qu'elle menaçait depuis un moment. Cette pluie fine, très verticale, aux gouttes parsemées ne m'empêcha pas de prendre mon temps et de me désaltérer d'un « Monaco », abrité sous une terrasse d'un café. Durant ce petit moment de détente que je m'accordais, j'entendis la musique, les cris et les chants qui émanaient de la ville d'en face. En effet, sur la rive opposée, Serrières l'ardéchoise s'amusait et le faisait savoir. Témoin de ce contraste entre la frénésie folklorique des convives serrièrois et la quiétude rurale qui régnait à Sablons, je repris mon kayak que j'avais momentanément laissé sur le bas port. J'effectuai les quelques dernières centaines de mètres qui me séparaient de l'emplacement que j'avais choisi pour camper et après avoir débarqué en rive droite, un peu avant le barrage de régulation, dans un humide tapis herbeux d'un vert intense, je tirais le kayak pour la dernière fois de la journée, sur un petit chemin caillouteux me menant jusqu'au lieu convoité.

     Je m'arrêtai quelques minutes sur l'esplanade qui dominait le barrage de régulation de Sablons. Bercé par le bruit de l'eau qui plongeait dans les bassins entre les contre-forts. J'attendis là, simplement, et les minutes passèrent. Je contemplai ce couple d'aigrettes garzettes volant vers la rive opposée. Je chassai d'un geste aussi sûr que malheureusement inefficace cette troupe de moustiques assoiffés, évoluant trop près de mon visage, aminci par l'effort et buriné par le soleil. Alors que je baissai la tête pour éviter un dernier assaut de ces diptères audacieux, je remarquai quelque chose bouger, juste au-dessous de moi, dans l'eau tumultueuse, à l'écume blanche s'évanouissant vers l'aval en une frontière régulière. Mais qu'était-ce donc ? Un poisson. Un gros poisson. Plusieurs gros poissons. Une bonne dizaine de gros poissons. Quelle vision étrange que ces silures glanes, se jouant du courant avec virtuosité, les barbillons frémissants, se collant les uns aux autres, virevoltants en surface, se faufilant l'un derrière l'autre, virant soudainement pour descendre le courant sur un ou deux mètres pour se repositionner face aux chutes.

     Je quittai ce ballet d'une autre dimension pour atteindre un éclaircissement dans mon bosquet de Robiniers. Les gouttes de pluies, toujours autant verticales, étaient de plus en plus serrées et j'installai mon tarpaulin pour m'en abriter. Je décidai de dormir à même le sol sur un espace que j'aménageai, le rendant aussi intime et familier que possible en y installant mon feu de camp. De la chaleur, un toit et mon kayak tout contre moi ... si ce n'est pas le bonheur ... on s'en approche un peu non ?"
Il ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait...

Rikou

#69
:D Salut à tous. J'approche de la fin de mon récit. Encore un peu de patience. Après on passera à autre chose  :good:

Je fus sorti de mon sommeil par une mélodie bien familière bien qu'il me sembla qu'elle retentit un peu trop tôt. Je regardai d'un œil étonné l'heure affichée sur mon réveil-téléphone-appareil photo-gps combiné. En effet, je n'avais pas le souvenir d'avoir régler le réveil à cinq heures. Et pourtant cinq heures sonnaient. Je me levai donc, me frottant les yeux ayant du mal à apercevoir les herbes qui recouvraient une partie de la berge du Rhône, en face desquelles j'avais installé mon campement. Je mis cela sur le compte de la pénombre par encore complètement dissipée. Il était improbable et j'ose même dire impossible, qu'elles n'y soient plus ce matin là, certain de les avoir distinguées la veille et n'ayant pas subitement perdu la raison, pas encore du moins. Je compris rapidement que cette soudaine disparition n'était pas due au zèle intempestif d'un hypothétique et insomniaque agent de la Compagnie Nationale du Rhône, qui aurait pendant la nuit, tel un nyctalope taquin, pris un malin plaisir à tout couper . La brume avait tout bonnement envahi le secteur, certainement bien avant que le jour ne se lève. Sa dense opacité n'avait d'égal que sa grisaille vaporeuse et c'est dans cette atmosphère un tantinet lugubre que je petit-déjeunai. La collation du matin promptement engloutie, kayakiste et kayak aussi promptement équipés, nous quittâmes mes chers robiniers faux-acacias pour rejoindre la rampe d'accès au Rhône, située quelques mètres plus bas.

Alors qu'avec prudence, j'en descendis la pente humide et glissante, j'espérai que cette brume disparaisse rapidement. Le temps de contempler une sangsue esseulée, je fus exhaussé et je pus entrevoir enfin une partie du fleuve. C'est à sa robe d'ébène et étincelante dans les premiers rayons de soleil que je la remarquai. Contemplant, avec la curiosité du naturaliste qui me caractérise, sa façon très personnelle de se mouvoir, je fus saisis soudainement par la vulnérabilité de cet être d'un autre âge. Elle se recroquevillait, s'étirait ... se recroquevillait et s'étirait de nouveau. J'eus alors une pensée émue pour la dernière sangsue que je vis. Je me souvins qu'elle frétillait désespérément au bout de l'hameçon que je m'apprêtais à jeter dans les eaux profondes et froides du lac Baskatong, lors d'un séjour consacré à la pêche dans la province de l'Outaouais, au Québec. La sangsue était alors l'appât roi, selon les autochtones, pour « pogner » le fameux doré, prononcé « daoré » un sandre à la robe dorée justement et à la chaire délicieuse, très appréciée des pêcheurs québécois et dont la renommée s'est étendue dans toutes les provinces. La sangsue exerce-t-elle un véritable pouvoir d'attraction sur le « daoré » ou cette réputation nationale est-elle usurpée ? La question est posée ... vous avez trois heures ... après je ramasse les copies.

C'est sur cette pensée que je m'installai pour la énième fois confortablement dans l'Ysak dans un rituel parfaitement rôdé, aux gestes complètement maîtrisés. Je poursuivi mon périple jusqu'au prochain barrage, celui d'Arras-sur-Rhône. L'année dernière je fus obligé de débarrasser la rampe encombrée de bois flottés, laissés en désordre, par les variations successives du niveau des eaux. Et bien je renouvelai le nettoyage cette année encore, débarrassant la rampe de son fatras de branches et de débris aussi disparates les uns que les autres. Ma besogne imprévue accomplie, j'en profitai pour prendre un bain de soleil et faire sécher mes vêtements humides. Après cet intermède, quittant le barrage et son aménagement, je fis une nouvelle fois cet agréable constat : les sections à débit réservé sont toujours aussi sauvages et constituent un havre naturel où le fleuve retrouve son identité. Immergé dans un monde à part, je glissai alors silencieusement au milieu du fleuve que je retrouvai avec bonheur. Faire le moins de bruit possible, s'appliquer dans un pagayage sans éclaboussures, passer aussi proprement que silencieusement, telles furent les précautions que j'appliquais pour admirer la nature qui s'offrait à moi.

Le voyage se poursuivit ainsi entre Ardèche et Drôme, naviguant tantôt dans le cours historique du Rhône, tantôt dans son cours aménagé, égayé par la beauté des cités rhodaniennes traversées, pour atteindre enfin au barrage de la Roche-de-Glun assez tôt dans l'après-midi. J'arrivai au beau milieu d'une compétition de kayak qui me permit d'admirer l'aisance et la dextérité de certains jeunes, voir très jeunes kayakistes. Evoluant d'une rive à l'autre, d'un rapide à l'autre, esquimautant, contre-appelant, stoppant, je fus frappé par ce petit gars d'une dizaines d'années je pense, à la technique irréprochable et au sens de l'eau inné. Tous ses mouvements étaient comme des notes de musique magnifiquement ordonnées sur une partition de Grand Maître, offrant au spectateur privilégié que j'étais, un récital unique frôlant le divin. Chaque geste était parfaitement dosé, à sa place, efficace. Je ne distinguai plus l'humain de la rivière tant leur fluidité se mêlait. Je remarquai que je n'étais pas le seul subjugué par tant de grâce et de maîtrise.

J'attendis ainsi sous un soleil timide, la fin de la compétition pour installer mon bivouac. J'avais pris soin de déployer les panneaux solaires pour profiter des derniers rayons du soleil pour recharger la batterie du portable. Allongé perpendiculairement au kayak, la tête soutenue près de l'hiloire, somnolant, patient, j'attendis. C'est après le départ du dernier véhicule, alors que les rayons du soleil ne réchauffaient plus personnes sur l'eau, que je me levai enfin pour installer le camp. La pluie remplaça aussi sûrement que durablement le soleil trop timide pour avoir la force de percer à travers les épais nuages gris. J'installai un peu plus haut le hamac, entre deux gros chênes dont les troncs étaient couverts de lière jusqu'au houppier. La pluie persistante m'incita à installer le tarpaulin avec les deux moitiés de ma pagaie de secours en guise de mats, histoire d'avoir un abri pour le dîner. M'apprêtant à déguster un Saumon aux pâtes et légumes que je venais de préparer, je me fis la réflexion que j'aurai pu tirer jusqu'à Valence... On verra demain si, cette fois la providence et la météo me permettraient de franchir, de la meilleur des façons, cet obstacle fatidique , objet de mon appréhension.

Je me réveillai dans un matin calme dénotant avec l'agitation de la veille. Un rapide regard vers le ciel et je compris en constatant la présence de quelques nuages menaçant bouchant l'horizon, que le soleil ne serait pas très présent. Avant de partir je décidai de me ravitailler en eau et je me rendis à La Roche-de-Glun pour trouver le seul Tabac-Bar-Presse ouvert en ce lundi matin. Après un petit café et un jus de fruit pris au comptoir, le patron me permit de me ravitailler en eau et remplissait, l'une après l'autre, les 3 bouteilles vides que je sortis de mon sac à dos et que je lui tendis avec un léger sourire en coin au fur et à mesure qu'il les remplissait. Je repartis avec mes 4,5 litres d'eau en le remerciant très chaleureusement et je retrouvai mon kayak que j'avais laissé en haut de la rampe située en contre-bas de l'endroit où j'avais dormi, sous la garde de deux jeunes pêcheurs, venus taquiner la carpe.

Ce ravitaillement pris du temps malgré tout et c'est tardivement que je quittai cet endroit avec l'appréhension de l'échéance à venir à savoir le passage à Valence. Mon échec de l'année passée retentit encore un peu dans mon esprit et c'est dans un enthousiasme mitigé que je remerciai mes jeunes gardiens et me lançai à nouveau au rythme du fleuve, sur ses flots pour l'instant tranquilles. La grisaille me suivit et apercevant dans le lointain les ruines du château médiéval de Crussol, dressé sur sa colline depuis le XIIe siècle, je me remémorai les parties de fouilles réalisées dans ses couches calcaires du jurassique supérieur, à la recherche de fossiles vieux de plusieurs millions d'années. Culminant à plus de 800 mètres, la montagne dominait le Rhône pour faire orgueilleusement face à la capitale drômoise.

Je franchis la confluence avec le Mialan, siège de mon désarroi passé, avec beaucoup de fierté et même un certain sentiment de grandeur. Laissant derrière moi ces noires contrées, naviguant d'un rythme sûr et hautain, je m'approchai de Valence avec sérénité. C'est alors que je passai sous le pont Frédéric Mistral, frontière de béton et de ferraille entre Drôme et Ardèche, que je sus que j'irai au bout de mon aventure. Ce fut à cet instant même que cette certitude s'ancra en moi, balayant d'un coup tous les doutes que j'avais eu jusque là, liés uniquement à la fin malheureuse de l'expédition précédente. Motivé par cette victoire sur le Rhône, aussi modeste qu'elle fut, je senti un poids se détacher de mon être. Comme un lest trop longtemps accroché dans la poitrine dont je venais de me débarrasser.  Une force nouvelle m'envahit et tel un chevalier des temps arthurien, protégé par quelques charmes magiques, je poursuivis la quête que je m'étais fixée, en traversant les épreuves que la destiné plaçait sur mon chemin. Ni les rapides impétueux formés sous le Barrage de Charmes-sur-Rhône, ni les variations intempestives du débit du Rhône, ni le souffle violent du monstre de Cruas, eurent raison de l'enchantement qui me protégea. Et bien que le vent se leva, plus par orgueil que par défi, c'est dans un lopin de terre d'un vert intense, bordé d'arbres centenaires, que, dans le crépuscule naissant, j'installai ma modeste couche. Je m'endormis tranquillement, sans fatigue, l'âme apaisée, heureux de poursuivre ma douce odyssée.
Il ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait...


Rikou

 :D  Salut à tous. Voici la "presque fin" de mon récit mais pas la fin de mes aventures ...

Dès le début de ce jour nouveau, la Drôme Provençale me gratifia de ses plus beaux atours et l'ambiance matinale fut à la légèreté, aussi suave et douce que l'essence de karité.

D'une part je fus définitivement débarrassé de cette barrière invisible que j'avais moi-même subconsciemment installée en travers de mon esprit. Vade retro Valentia, spectre déchu. Désormais plus aucun obstacle ne me sembla pouvoir empêcher l'accomplissement de mon destin. Bien que ce fut prématuré, je vous le concède, je sentis le vent enivrant de la réussite gonflé mon cœur orgueilleux, soufflant sur chacun de mes pores, frôlant mon épiderme dressé par l'idée d'un proche succès.

D'autre part, plus j'avançais vers mon but ultime, plus mon fidèle Ysak maigrissait, la quantité des victuailles diminuant avec la fréquence des repas. Comme moi, il perdait du poids au fur et à mesure des efforts consentis sur le fleuve. L'expédition permit donc, à l'un et à l'autre, de perdre quelques kilogrammes, en ce qui me concerne superflus, je l'avoue, qui auraient mis plus de temps à disparaître par un moyen plus classique comme par exemple les sempiternelles séries d'abdominaux étroitement associées à un régime stricte hyperprotéiné. Cependant s'il fallait faire plusieurs kilomètres en kayak pour perdre des kilogrammes, au point d'élever cette façon de maigrir à l'état de Dogme, nos cours d'eau, nos lacs, notre beau littoral seraient envahis par nombre de bigotes bedaines ventripotentes et autres goitres dévots, tous aussi flottant les uns que les autres, pagayant dans la valse infernale du chaos diététique.

Bref. Evoluant tantôt dans un très large canal, aux perspectives accentuées par de longues lignes droites interminables, tantôt sur un Rhône à la Naturalité retrouvée, je descendis inexorablement au rythme de l'eau, profitant pleinement de mon environnement, de chaque instant que le fleuve m'offrait. M'imprégnant de tout ce que je vis, de tout ce que je sentis et entendis. Me goinfrant de sensations à m'en faire éclater la poitrine.

Un arrêt sur une plage dégagée présentant encore les stigmates d'une crue toute récente, me permis de contempler par-delà l'admirable Pont du Saint-Esprit aux arches aussi nombreuses que centenaires, la cité éponyme au riche passé médiéval, trônant en ce point stratégique, aux confins de la Provence et du Languedoc. Les galets étaient encore chargés de senteurs vaseuses, pris dans une enveloppe de boue grise et sèche. Ici se mêlèrent certainement les eaux chargées de l'Ardèche toute proche à celles de son aîné rhodanien, en une communion destructrice et fusionnelle.

Toujours accompagné d'une sensation de grande liberté, de sérénité totale et intense, je poursuivis mon périple naviguant au milieu des arbustes sortant peu à peu de la torpeur fluviale, se libérant de leur étreinte boueuse, dévoilant les plages dont je recommençai à deviner la beauté, dans une douce mélodie, régulière et reposante.

Culminant à plus de 1900 mètres d'altitude, dominant majestueusement les plaines avoisinantes, le Mont Chauve s'élevait tel un fanal éternel, guidant de sa vive lueur, le cœur des pèlerins en quête d'eux-mêmes. C'est au pied de ce Mont venteux ou Montagne qui se voit de loin, les avis d'experts diverges, que je choisis d'installer mon bivouac, protégé par le bras séculaire de ce Géant de Provence.

Arrivé tôt sur la place je m'offris le luxe de prendre le temps pour installer mon campement. Les tâche sanitaires et ménagères préalablement effectuées, je m'adossai contre la coque du kayak, tourné vers le disque solaire rougeoyant qui déclinait progressivement derrière le Mont Ventoux, nous enveloppant, le Fleuve, la Montagne et votre humble serviteur, dans un drap de soie écarlate. Pour que perdure cet extraordinaire sentiment de communion qui monta en moi, j'installai le hamac sans y mettre le toit, entre deux jeunes pins sylvestres éloignés de leurs congénères résineux, afin de pouvoir admirer sans entrave le ciel parfaitement dégagé, s'animant peu à peu des 6 000 étoiles que l'oeil humain est capable de distinguer. Une intense sensation de n'être qu'Un parmi le Tout m'assaillit. Et c'est ainsi que du haut de mon charriot constellé d'étoiles, je contemplai ce petit terrien, voyageur solitaire lover dans son nid, bercé par la mélodie silencieuse de mes notes célestes.
Il ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait...

Rikou

 :D Voici la fin du périple ...
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        Descendant plein sud sur un fleuve de plus en plus homogène, j'arrivai aux abords du barrage de Sauveterre, quelques kilomètres au nord d'Avignon, quand mon attention fut attirée par un léger vrombissement dont je n'arrivai pas encore à déterminer l'origine. Approchant de la cale située en rive gauche, juste avant le barrage, j'aperçus un équipage de pompiers en train de manœuvrer pour mettre à l'eau leur zodiac imposant. Mais je doutai qu'ils furent les auteurs du bourdonnement mécanique qui, d'ailleurs, ronflait davantage.
        Etant à bord de la plus petite des deux embarcations, j'appliquai ce principe que j'ai adopté durant toute la descente du Rhône : « les plus gros d'abord !». Ce qui me permit d'éviter, à maintes reprises, de me retrouver dans des situations où je n'aurais certainement pas eu l'avantage. Je me décalai donc de la trajectoire du zodiac encore solidaire de sa base de métal, pour ensuite me placer en attente le long des enrochements, la proue tournée vers l'amont, à quelques mètres de la rampe.
        Soudain l'un des pompiers pointa le ciel de son index élancé et portant mon regard dans la direction indiquée, je vis au loin, à quelques mètres au-dessus des arbres, l'origine du bourdonnement mécanique. Amorçant un large virage en piqué, j'aperçus la robe de gueules et d'or caractéristique des Canadair CL-415. Je fus impressionné par la virtuosité avec laquelle le pilote manœuvrait son énorme bombardier d'eau. Je fus rétrospectivement inquiet et pris de sueurs froides quand je m'aperçus qu'il allait commencer sa délicate opération d'écopage sur le Rhône à l'endroit même où je venais de passer tranquillement avec le kayak. Poursuivant dans une manœuvre parfaitement exécutée, respectant certainement scrupuleusement la procédure, ce Golgoth d'envergure aux larges ailes d'acier et aux turbopropulseurs surpuissants, s'approcha délicatement de la surface de l'eau en un rase-mottes efficace et sorti ses écopes larges de quelques dizaines de centimètres seulement. Une traînée d'eau jaillit sous le fuselage telle le voile de la comète accroché derrière son astre. Douze secondes suffirent pour remplir les deux réservoirs et c'est près de six mille litres d'eau qui furent prestement happés.
        En discutant avec nos amis pompiers j'appris qu'ils étaient là pour sécuriser le plan d'eau afin que le Canadair puisse faire son office sans provoquer d'accident, comme par exemple heurter à pleine vague un kayak et son kayakiste, dans l'inopiné mais néanmoins néfaste dessein de le faire passer par deux trappes pas plus grosses qu'une boite à chaussure... Heureusement qu'ils étaient là les pompiers ! Surtout, qu'un l'instar d'un train qui  peut en cacher un autre, ce premier CL 415 ayant aussitôt repris de la vitesse, évacua le plan d'eau pour laisser un de ses congénères opérer une manœuvre identique. Deuxième coup de glaçon dans le dos.
        Après le passage des « Pélicans », j'attendis patiemment que les deux hommes vêtus de néoprène orange montent dans le zodiac et que le petit en costume bleu démarre le moteur et dirige son engin au milieu du fleuve libérant ainsi la rampe pour qu'enfin je puisse y accéder. Après un très bref portage, je passai sans transition dans un bras calme du Rhône, où nombre de pêcheurs s'étaient tranquillement installés. Faufilant le kayak entre leurs lignes, j'atteignis la Cité des Papes où ma première vision de cette ville antique fut celle des péniches de type Freycinet arrimées sur les quais en rive droite. Un coup de vent aussi intempestif que soudain faillit d'ailleurs m'arracher la pagaie des mains. Ce petit coup d'adrénaline vite passé, je pus enfin contempler son célèbre et mystérieux pont, vestige immobile et érodé d'un passé prestigieux. Je ne pouvais manquer de m'arrêter dans ce qui fut la Capitale de la Chrétienté pendant plusieurs siècles. Et c'est le long de l'île de la Barthelasse, pile en face du pont, que je sortis le kayak de l'eau  pour profiter un moment de la solennité des lieux. Bon, ce moment ne vint pas. Certainement à cause des touristes, très nombreux, qui déambulaient le long du Rhône. Ou bien peut-être à cause de cette délégation municipale et de ses membres qui s'arrêtaient à tous les bancs en fonte placés à intervalles réguliers le long de l'allée. Celui-ci les regardant avec perplexité, celui-là les touchant mollement, ou encore cet autre les prenant en photo. Avant que la troupe d'échevins n'arriva jusqu'au banc sur lequel je me prélassais, je me retirai tout doucement dans la verdure un peu plus en arrière pour trouver un coin d'ombre où mon imagination vagabonda, intriguée par la légende de Saint-Bénézet, jeune berger ardéchois obéissant au divin commandement de se rendre en Avignon pour construire ce pont, qui porte aujourd'hui son nom. Cela méritait bien une sanctification, tout au moins d'être inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO !

        Je quittai Avignon après un sérieux ravitaillement en eau fraîche et un bon déjeuner au bord du Rhône. Je remis l'Ysak à l'eau sous l'œil étonné d'un jeune couple qui se bécotait maladroitement sous un immense saule. Au sud de la cité, je naviguai paisiblement sous le double viaduc du TGV. Impressionné par l'édifice, je me surpris à baisser la tête en passant sous les énormes tabliers perchés à près de 50 mètres de hauteur. Humblement je dépassais l'ouvrage pour évoluer plus en aval à la confluence avec la Durance, l'un des affluents les plus importants du Rhône. Son nom raisonne d'une façon particulière dans ma mémoire car il représente une des plus belles parties de ma jeunesse alors que j'allais en maraude dans son lit, pour attraper truites, cadèbes, barbeaux, sofis avec mes compagnons d'aventure et les moyens dont nous disposions à l'époque. Une vieille canne en bambou récupérée dans la remise d'un oncle, assortie d'un fil aussi grossier que l'hameçon était rouillé. Parfois munis de nos harpons de fortune fait de branches de Piboule, de bouts ficelle et de clous, nous guettions les poissons prisonniers, à moitié asphyxiés, dans les trous d'eau d'une rivière asséchée. Ainsi, par intervalles plus ou moins réguliers, ma destinée croisa celle de la Durènço, si chère à Jean Giono. Comme en novembre 1994, où je fus le témoin privilégié d'une des plus importantes crues de la Durance, dans cette partie de son bassin. Je me trouvais sur le pont de Mirabeau, face à Canteperdrix, entre Vaucluse et Bouches-du-Rhône, contemplant avec effroi la rapidité avec laquelle la Durance se gonfla de colère, submergeant avec fracas les iscles esseulés au milieu de son lit, imposant sa fureur dans toute sa largeur.

         Khèèik... Khèèik... Extirpé de mes tendres souvenirs par le cri rauque et croassant d'un héron cendré, je fus brutalement ramené à la réalité du Rhône, et quelle réalité puisque j'étais face à la centrale thermique d'Aramon et sa haute cheminée enrubannée de rouge et blanc, tel un sucre d'orge géant. Ce fut l'un des derniers édifices que je rencontrai avec notamment le barrage de Vallabrègues, dernier ouvrage barrant le Rhône, que j'allai très rapidement atteindre.
         A sa vue, je fus de nouveau soumis à la même excitation et à la même euphorie rencontrées à Valence. Le goût de la victoire était de plus en plus prononcé et s'enrobait d'arôme de miel, de lavande et de thym sauvage. Autant dire que j'appréciai avec encore plus d'attention et d'application, cet instant là. J'installai le bivouac sur l' île Vanel, de l'autre côté du barrage en rive gauche, dans un espace parfaitement adapté et qui n'attendait que ça, juste en haut de la rampe de mise à l'eau.
         Je remarquai en contre bas une magnifique petite plage de sable noir, très fin. Il était chaud et sec. Je m'y allongeai tranquillement, sans me soucier de quoi que ce soit. Je m'octroyai de nouveau un temps de réflexion au bord du fleuve. Moment intime de pur égoïsme, face à moi-même et à ce que j'accomplissais.

         Je me levai très tôt le lendemain et jetai mon premier coup d'œil sur le Rhône. Je remarquai tout de suite une certaine intensité dans le courant qui proposa déjà un plateau de belles écumes sur les crête des plus grosses vagues, en guise de petit-déjeuner. Je n'avais pas vu cela la veille en arrivant, tout béat que j'étais de ma progression, aveuglé par l'euphorie !
         Une fois mis à l'eau tout alla bon train et je me présentai rapidement à l'amont du seuil du Gardon, tout rugissant, entre Beaucaire et Tarascon. Là encore, je m'appliquai à ne pas faire d'erreur grossière en sortant du kayak puis en le hissant sur la rive. Je ne voulais pas me blesser si proche du but. J'installai le chariot sous son étrave et je réalisai que c'était la dernière fois que j'accomplissais cette procédure. Ce seuil était mon dernier obstacle avec portage. C'était d'ailleurs mon dernier obstacle tout court. Un dernier effort consenti, une dernière goutte de sueur adandonnée au fleuve. Quelle sensation incroyable au moment où je remontai dans l'Ysak après avoir fixé plus fermement que d'habitude le chariot sur le Pont. Au fond de moi-même, je sus que cette journée allait être d'un goût particulier et unique. Je poursuivis donc sereinement jusqu'à la séparation entre petit et grand Rhône où sans hésiter je m'engageai dans ce bras plein de bourrasques et de tourbillons, en direction de l'ancienne et vénérable Arles la Romaine où deux magnifiques lions d'albâtre m'accueillirent, témoins pétrifiés du renouveau industriel et économique que connue la ville jadis. Ce n'était encore que le matin que ces deux imperturbables félins, aux allures antiques m'incitèrent à faire une pause et je posai doucement le kayak sur le plan délicatement incliné de la rampe du Quai Saint-Pierre. Avant d'affronter les longueurs fluviales et monotones du fleuve, j'en contemplai l'écoulement dans un calme olympien et songeai que malgré les invasions des Wisigoths et des Sarrasins, malgré les troubles et conflits pour en devenir le Maître, en dépit des dégats et des drâmes causés par le Choléra et la Seconde Guerre Mondiale, Arles était toujours là, resplendissante, lumineuse et chaude dans ce beau matin d'été.

         Je laisse Arles et ses tourments passés. Ca y est. Maintenant c'est tout droit ou presque. Sans contrainte. Que le vent, qui ne m'ayant pas quitté depuis Valence, redouble d'intensité. Je fais connaissance avec le Grand Rhone. Plus rien ne peut m'empêcher d'aller jusqu'au bout dorénavant. La voie s'ouvre sous l'étrave de l'Ysak. Une voie royale jusqu'en Méditerranée. Large, monotone, bordé d'interminables rives couvertes de végétation parfois très dense, le Rhône ne me propose pas beaucoup d'endroit où accoster. Songeant que cette partie du périple va me paraître bien longue, je décide d'en finir et redouble d'efforts. La moindre tentation pour m'arrêter ou me ralentir est vaine tant je suis déterminé à en finir. J'avançe donc, décidé, rythmé par des coups de pagaie réguliers. Mon corps est pris d'un mouvement mécanique, gauche, droite, gauche, droite, un vrai métronome. Le paysage défile sur les côtés sans que je ne le distingue vraiment et je remarque à peine Port-Saint-Louis-du-Rhône. J'arrive à Salin-de-Giraud où valsent devant moi les bacs amphidromes de Barcarin, dans une houle formée. Dernier baroud d'honneur du fleuve qui sait que je vais bientôt le quitter et qui me salue à sa façon, à la méridionale. Encore une  dernière longue portion à pagayer contre le vent puis c'est l'accalmie soudaine et la plage de Piémanson qui se profile à l'horizon. J'active la manœuvre pour finir frénétiquement en sprint. Je n'y crois pas. Pas encore. J'échoue avec vigueur la pointe du kayak sur la plage, dans un silence anonyme. Je n'y crois toujours pas. J'y suis presque. « Il faut bien que le corps exulte » chantait le Grand Jacques mais je n'ose pas encore exulter. Je me retiens. Encore entravé par ma jupe solidaire de l'hiloire, je chois sur le côté. Je lâche la pagaie sans crainte et je fini par me libérer pour me glisser tout entier dans une eau chaude, accueillante, bienfaitrice, comme au premier jour.
         J'émerge tout doucement de l'eau. C'est une renaissance. Je me dresse fièrement et m'avance tel un conquérant invincible pour fouler le sable blanc de la plage. Je me retourne face au Rhône en levant les bras au ciel. Défiant le soleil  camarguais de mes poing serrés je laisse enfin sortir de ma gorge un cri  de joie libérateur, fort, clair, sans trémolo. Ma poitrine se gonfle d'orgueil. Mon cœur déborde de fierté. J'exulte enfin.
         Le regard perdu sur l'horizon je projette déjà au loin les images de mes futurs projets. Puis mon regard attendri se porte sur l'Ysak encore à moitié échoué sur la plage. Le mettre à l'abri, faire sécher mes affaires, préparer le bivouac... la routine quoi !

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:D Voila. C'est la fin de ce récit. Merci de votre attention. Désolé pour la longueur. A bientôt pour de nouvelles aventures :good:
Il ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait...

Jicé


denali73