Rhône kayak 2013

Démarré par Rikou, 14 Juin 2013, 10:06:24

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Rikou

#45
 Le matériel était convenablement rangé. J'étais prêt, calé dans le kayak, le nez tourné vers l'amont. Pas moi, le kayak. Même si moi aussi j'avais le nez tourné vers l'amont, mais c'est le nez du kayak que j'évoquais en premier lieu. C'était la première fois que je le laissais passer la nuit sur l'eau ... Le kayak ... pas le nez ... Je l'avais amarré à deux poteaux en bois plantés de chaque côté de ces marches en béton, à l'endroit où j'avais accosté la veille. Un nœud de cabestan et deux demi-clefs, une marge nécessaire dans la longueur de chaque « boute », c'est ainsi que j'amarrais l'Ysak. Comme j'avais l'habitude de le faire lorsque je travaillais, il y a quelques années à Port La Galère, une citée marine résidentielle de la Côte d'Azur, située à quelques encablures après le village de Théoule-sur-Mer, entre le bleu de la mer et le rouge de l'Estérel. J'étais agent portuaire. J'aidais fièrement les plaisanciers dans leurs manœuvres pour s'amarrer au quai. Ils arrivaient de Cannes ou des Îles de Lérins, à bord de yachts imposants ou de voiliers motorisés, trop souvent dégarnis de leur voilure. Je me baladais ainsi toute la journée sur un petit vélo, veillant avec assiduité, à la propreté du site et à la disponibilité des places, paré en guise d'uniforme d'un bermuda bleu ciel, d'une chemisette bleue ciel, de chaussettes blanches et de mocassins type « bateau ». Le contraire aurait été étonnant. J'avais 20 ans, le teint halé, les cheveux blonds, insouciant. L'une de mes seules préoccupations était de savoir de quelle manière j'allais dépenser les pourboires généreux, octroyés par les riches vacanciers opulents.

Installé dans mon kayak le nez tourné vers l'amont donc, j'étais déjà en mode « Expé ». Tous les voyants étaient au vert. Concentré, consultant mon « road book », je repérais les passages délicats de l'itinéraire que j'allais emprunter. Sur une échelle de 1 à 10, si je devais évaluer le degrés de difficulté de cette étape, je mettrais 1. Vu qu'on a décidé que l'échelle commençait à 1. Sinon, j'aurais mis 0 si on avait décidé de la faire commencer à 0. En effet, excepté le portage au barrage de Sault-Brénaz, qui doit prendre au pire quinze minutes, aucun obstacle majeur, aucun obstacle du tout d'ailleurs, ne vint perturber une navigation qui s'annonça plus que paisible. Dans ce cas précis, quand j'évoque le portage, cela commence au moment où je tire le kayak jusqu'en haut de la rampe. Puis je le hisse sur le chariot que j'ai préalablement préparé. Je hale le tout solidement sanglé jusqu'à l'autre rampe quelques 50 mètres plus bas. Je descend le kayak du chariot que je repositionne sur le pont. Je m'introduis dans l'hiloire accueillante et avant de donner les premiers coups de pagaies je regarde la montre : quinze minutes au pire. Voila. Quod erat demonstrandum.

A propos du barrage de Sault-Brénaz, je devrais plutôt parler de l'aménagement de Sault-Brénaz, puisqu'il s'agit d'un ensemble constitué du barrage de retenue de Villebois, sur le bras en rive droite du fleuve, de l'usine hydroélectrique de Porcieu-Amblagnieu, sur le bras en rive gauche. Et au milieu ... l'Île de la Serre, avec l'ancienne écluse longue de 180 mètres et large de 16 mètres. Il y a bien quelques rapides après Loyettes, un peu avant d'arriver à la zone naturelle protégée de la confluence avec l'Ain, mais rien de bien méchant. Il y a bien le passage devant la Centrale du Bugey ... mouais ... Ce qui ma frappé là-bas, c'est le nombre de gens qui pique-niquaient en famille, dans des prairies dégagées, ou sur les berges vertement parées, aux alentours immédiats de ce complexe nucléaire. Le tout dans un cadre champêtre d'où se dégageait une sérénité qui faisait presque oublier que dans les entrailles de la bête se terre une force dévastatrice, dont la présence est trahie par de simples toussotements de fumée blanchâtre, s'échappant de ses évents de béton ... Donc, vous voyez ... rien de bien méchant.

L'étape du jour devait se terminer par un bivouac à proximité du terrain militaire de la Valbonne. Sauf que, la fluidité du parcours aidant, je me retrouvais beaucoup trop tôt sur le site en question. Je décidais donc de poursuivre jusqu'au barrage de Jons et même au-delà, avec encore une fois la ferme intention de parcourir un maximum de kilomètres.

Alors autant le franchissement de l'aménagement de Sault-Brénaz ... et oui, je me suis fendu d'une petite démonstration couronnée par une magnifique locution latine, c'est pas pour faire quelques lignes plus tard comme si de rien n'était ... Alors autant le franchissement de l'aménagement de Sault-Brénaz fût aussi rapide qu'une lettre à la poste, autant celui du barrage de Jons fût plus fastidieux. Accéder à la rampe ne doit pas poser de difficulté en soi, si ce n'est la présence d'une part d'un courant assez engagé et d'autre part de ce petit canal de captation d'eau, certainement pour alimenter la rivière artificielle qui permet dorénavant aux poissons, de circuler entre le canal de Miribel et le canal de Jonage. Sauf que, une fois dans l'enceinte, on ne peut plus en sortir vu que le site est complètement clos.

Il faut donc trouver une voie de secours si on ne veut pas continuer sur le canal de Jonage et ajouter deux autres portages  à la liste des portages déjà effectués et de ceux à effectuer, plus nombreux encore à ce stade du périple.

La première tentative pour trouver un endroit propice à l'accostage échouait. Pourtant un panneau en rive droite indiquait un « U » énigmatique qui semblait être un repère désignant un point d'accostage justement. Il n'en était rien. Ou alors il n'en était plus rien. Il en fût, peut-être, mais plus maintenant. La seconde, quelques dizaines de mètres plus loin, était couronnée de succès. L'endroit était effectivement presque idéal, avec un contre courant parfait, le kayak restait pratiquement immobile. Cependant, les piquants des ronces, le tranchant des rocher et la hauteur de l'empierrement rendaient difficile le halage de l'embarcation sur le plancher des vaches. Il y avait un risque d'abîmer et l'homme et le bateau. C'est après quelques glissades, et égratignures, ponctuées comme il se doit de commentaires peux élogieux pour celui qui les prononçais, que je finissais par hisser la bête sur l'herbe sèche jaunie par un soleil revigoré.

Le portage en lui-même ne fût pas long mais je perdais beaucoup de temps à chercher le meilleur passage  pour accéder au canal de Jonage, pourtant si proche. Il fût un peu chaotique en suivant le sentier surélevé qui avait certainement été construit à l'occasion de l'aménagement du site pour les poissons. Mais j'accédais enfin au canal, après avoir traversé une zone où les arbustes penchés dans le sens du courant, portaient encore les marques des crues récentes. Une fois le kayak mis à l'eau, je filais rapidement sur un courant relativement soutenu, dans une eau légèrement verdoyante, et s'éclaircissant peu à peu.

En cette période de l'année, les berges du canal de Miribel sont très accueillantes. Il y a un chemin qui le longe sur une grande partie et les locaux ne se privent pas pour se prélasser en bord du fleuve, au gré des espaces libérés, protégés par un saule, les pieds dans l'eau fraîche, ou allongés sur un pagne, le dos rougit par un soleil à l'étreinte brûlante.

Je les imitais. Je laissais l'étreinte brûlante cependant et choisissais un espace entre deux zones de galets pour accoster en rive droite. J'installais alors mon bivouac sur un petit promontoire sablonneux, muni de magnifiques bouleaux aux troncs solides et accueillants sur lesquels je m'empressais de fixer mon hamac. L'endroit me semblait propice à une petite partie de pêche. Après la rituelle collation du soir, je m'abandonnais aux plaisirs simples de cette activité séculaire, que nos ancêtres pratiquaient pour la survie du clan. C'est ainsi que je terminais ma journée, au bord du Rhône, une canne à la main, les pieds dans l'eau fraîche, le souffle chaud du soleil sur mon visage. Le « ploc » sourd et furtif de la cuillère tombant dans l'eau, marquait le début de l'action. J'attendais avec impatience et une certaine fébrilité dois-je avouer, le « toung ! » caractéristique de la truite qui attaque le leurre, que tous les pêcheurs de salmonidés connaissent et espèrent à chacun de leurs lancés ... Ce n'était pas pour ce soir là ... plus tard peut-être ...
Il ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait...

Peyo

Citation de: Rikou le 09 Juillet  2013, 16:00:44
:D  Salut à tous.

Pour répondre aux multiples interrogations de Peyo, voici une modeste réponse sous forme de condensé qui, je l'espère, suffira à étancher sa soif de connaissance.. Du moins pour un certain laps de temps.


Laps de tempsle plus long possible car tu as répondu à la plupart de mes interrogations.
  Quelques éléments dont je me passerai certainement comme les démontes pneus ou la pompe à vélo et toute ces longueurs de corde mais pas la machette. En plus du réchaud gaz un kit à alcool du type des rations de survie de l'armée et au moins l'une d'entre elles aux plats maintenant savoureux qui changent de ceux que j'ai connu il y a 40 ans.
Dans l'ensemble tes indications me sont précieuses et même si mon programme de randonnée aquatique et ma prose ne seront jamais aussi prestigieux que les tiens je tire un mawimum d'enseignements de toutes tes précisions.
Un grand MERCI Rikou! :bravo:
Moins va le kayak à l'eau qu'à la fin il se lasse !

annickemmanuel

ça à l'air bien sauvage le Rhône  :D

Rikou

 :D Salut à tous. Juste un mot avant de partir en vacances, pour vous dire que l'album photo est au complet.

Je reprendrai mon activité dans 15 jours  ;)
Il ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait...


Bottadio


ours

La narration de ton aventure, Rikou, est un beau cadeau pour tous les lecteurs et pour notre forum.
Je tiens à le dire !
Descendre le Rhône du Léman à la mer, c'est déjà beaucoup, c'est une expérience humaine et sportive particulière..... mais la raconter et bien la raconter, c'est d'autant plus estimable, parce que presqu'aussi difficile.

Pour dire qu'après tes vacances, j'espère que tu nous offriras la suite de ton histoire! :coucou:
Site artistique personnel https://jeanyvesamir.fr/

Peyo

C'est bien vrai....Bonnes vacances!
Moins va le kayak à l'eau qu'à la fin il se lasse !

ours

Plus de nouvelles depuis juillet!  :'(

Et la suite de ton superbe journal de voyage, Rikou?  :/
Site artistique personnel https://jeanyvesamir.fr/

Rikou

  :D  Non, vous ne revez pas ... Après une trop longue absence, je reprends le récit là où je l'avais laissé il y a ... quelques temps ... :roll: 

Etape du 07 juin 2013

« Une mauvaise expérience vaut mieux qu'un bon conseil ». Cette phrase de Paul Valéry me revint en tête et j'ose y ajouter modestement une petite touche personnelle à savoir qu'une mauvaise expérience évitée vaut, aussi, mieux qu'un bon conseil. Cette méditation matinale intervint après que je m'extirpais de mon hamac, qui se trouvait à quelques centimètres d'une eau dont le niveau était monté insidieusement durant la nuit, en silence et sans prévenir. Je me plantai à la limite de ce promontoire providentiel sur lequel je me trouvais, constatant que le Rhône avait pris au moins 1,50 mètre, voir 2 mètres par rapport à la veille. Ce tertre salvateur surplombait de moins d'un mètre le fleuve taquin et je remerciai cet espèce de sixième sens qui, la veille, me titilla pour m'inciter à mettre le kayak à l'abri sur cet emplacement surélevé. D'ailleurs Je me demande si ce n'est pas une affaire d'instinct plutôt que d'expérience. Cette expérience qui se forge en fonction de ce qui nous arrive mais aussi de ce que nous évitons qu'il nous arrive ... euh ... je ne sais pas si je suis bien claire là ... N'est pas Paul Valéry qui veut ...

   Bref, les premiers émois très rapidement dissipés, un rapide coup d'oeil sur le téléphone portable et je concluai que la batterie affichant 8 % d'autonomie ne tiendrait certainement pas la journée ! Je m'empressai de contacter Dudu pour définir les termes de notre rencontre au bord du Rhône. Je procédai de même avec ma moitié et nous fixâmes rapidement notre « visu » à Vernaison, devant chez « Paul'o », à 17h00 et ... et ... et puis plus rien. Le voile noir. La batterie fut vide.

   J'avais donc rendez-vous avec Dudu à 13h00 et le temps que je soigne mes petits bobos, que je prenne soin de mon hygiène corporelle et que je prépare le kayak pour le départ, c'est certainement vers 10h00 que les premiers coups de pagaie furent donnés. Me lançant sur le Rhône légèrement grossi, et pour cause... je pensai au prochain portage, celui du seuil du Neyron. Il n'était pas difficile puisqu'il y avait une rampe très accessible en rive droite, après le pont de Miribel, qui me permettrait de sortir le kayak aisément. C'est après le seuil que cela sera plus problématique puisque je n'avais pas repéré d'endroit propice à la remise à l'eau.

Et bien je me trompais. Ce ne fut pas du tout problématique. Ce fut tout simplement long. Long et bruyant. Je ne trouvai aucun accès au fleuve et poursuivai sur ce chemin qui longeait la voie ferrée, toute proche. Vraiment toute proche. Je fus surpris par le bruit strident et perçant du premier train croisé et par le souffle qu'il générait. Je rencontrai quelques joggeurs et vététistes qui ne manifestèrent aucun signe d'étonnement en me croisant, ainsi qu'un jeune chien de race incertaine mais à la truffe brillante et au regard vif, répondant au sympathique sobriquet de « Champion ». Ce qui en disait long sur le caractère certainement singulier de ce canidé et de la haute estime que son maître avait de lui. Le dit maître, d'ailleurs, qui se tenait à une trentaine de mètre derrière lui, le torse nu mais vaillant, la chemise bleue nonchalamment posée sur son épaule droite, la démarche « tripode », ainsi rendue par une canne de très belle facture. Je l'avertissai de la présence un peu plus loin, là-bas, juste au niveau du bosquet de passiflores, d'une vicieuse vipère, feignant l'agonie, étendue au milieu du sentier. Nous échangeâmes quelques mots. Il était très curieux, intrigué des raisons qui me poussaient à réaliser ce périple. Il me remercia pour la vipère même si c'est à son fidèle « Champion » que je m'adressai initialement.

Après un portage de près de six kilomètres, j'entendis enfin le rugissement tonitruant de l'énorme seuil de la Feyssine nommée Hawaï-sur-Rhône par les spécialistes du free style. Tenter de franchir ce tsunami avec un kayak de plus de cinq mètres de long, et espérer atteindre l'autre côté indemne, relevait, à mon sens, de l'utopie furieuse, d'une extrême et aveuglante confiance en soi ou de pure et douce folie. Voire même des trois à la fois.

Je remis donc mon kayak à l'eau dans ce grand contre courant en rive droite, juste après le seuil. Entrant dans cette valse aquatique en toute confiance, je me positionnai de façon à pouvoir idéalement emprunter ce petit bras à droite. Après avoir traversé quelques rapides inoffensifs, je me retrouvai dans une eau beaucoup moins agitée, filant à vitesse constante, à la rencontre des treize ponts du Rhône, qui ponctuèrent ma traversée de la cité des Gaules, comme les 13 desserts venant égayer le repas traditionnel d'un Noël provençal.

Il ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait...

xael

Sur le seuil de Neyron, il y a une passe à canoë sur la gauche.
http://www.youtube.com/watch?v=Qi_ZLuWyfwU#ws


Par faible débit cet été, elle se passait sans problème. Je ne sais pas ce qu'elle donne avec un peu plus d'eau.
Et effectivement, après il n'y a pas de remise à l'eau accessible ce qui rend le portage plutôt long...

Rikou

 :D  Effectivement, cela m'aurait bien arrangé. Le niveau était un peu plus haut me semble-t-il. Et pis .... je dois avouer  ... je n'ai pas osé  :shy:
Il ne savaient pas que c'était impossible alors ils l'ont fait...

xael

C'est sûr qu'avec le matos sur le kayak, on a beaucoup moins envie de se baigner que par une chaude journée d'été où un dessalage se traduira par une bonne rigolade...

rake51


Kerrigan

et comment s'est passé le voyage de Lyon à la mer  :ange:  ?